Elsa Fayner

 




 

 

Ježner, passer dix jours ˆ mŽditer dans le silence, se lever aux auroresÉ La privation serait-elle en train de s'imposer comme une solution ˆ toutes les dŽrives de nos sociŽtŽs stressŽes ? Les nouveaux sages triomphent, tout comme les mŽthodes pour faire de la place et se retrouver soi-mme.

MŽditer jour aprs jour (L'Iconoclaste, 2011), de Christophe AndrŽ, s'est vendu ˆ 350 000 exemplaires. Le documentaire Le Ježne, une nouvelle thŽrapie, rŽalisŽ par Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman, rŽunit ˆ chaque rediffusion sur Arte prs de 600 000 tŽlŽspectateurs entre l'antenne et le replay. Combien de centres de yoga proposent des sŽjours combinŽs monodite, " dŽtox ", levers t™t, ou silence, dans une longre percheronne, une maison d'h™te toscane ou un h™tel de charme crŽtois ? Combien de Franais dŽcident de s'imposer un renoncement pour leur Žquilibre ? La FŽdŽration Ježne et RandonnŽe est passŽe en quelques annŽes de moins de quinze organisateurs ˆ plus de trente-cinq, pour cinq cents stages par an.

Cette dŽtox n'a de nouveau que le nom, car l'ascse se pratiquait dŽjˆ " dans la Grce antique et peut-tre plus encore dans le monde indien, voire encore plus loin dans la civilisation de l'Indus, qui a trouvŽ son prolongement dans le yoga -indien ", explique Odon Vallet, spŽcialiste des religions. Au ježne et ˆ la prire s'ajoutaient une gymnastique comme le yoga, une alimentation sans viande, l'absence de rapports sexuels, voire une planche de bois en guise de lit " pour tre sžr de canaliser ses instincts ", poursuit l'auteur du Petit Lexique des idŽes fausses sur la religion (Le Livre de poche, " LittŽrature & Documents ", 2004).

Les pŽriodes de " corps pŽnitent " ont suivi dans l'Histoire celles du corps triomphant, explique le chercheur : " Pour les premiers chrŽtiens, le corps martyrisŽ de JŽsus Žtait valorisŽ, par opposition ˆ -celui des dieux du stade grec. Comme chez les flagellants en Irak, dont les pro-cessions ressemblaient ˆ celles du Vendredi saint. " JŽsus n'Žtait cependant " pas un dur des pŽnitences ", pas plus que Bouddha, qui avait renoncŽ au ježne pour pratiquer le juste milieu. Quant ˆ Louis XIV, ses mŽdecins profitaient du calendrier chrŽtien pour rŽguler ses excsÉ Aujourd'hui, chez les ježneurs, les " retraitŽs Žcolo-bio " des annŽes 1990 ont cŽdŽ la place aux cadres actifs de moins de 50 ans, bons vivants le reste du temps, qui demandent " la piscine, les soins, une belle chambre et un bon lit ", constate Jean-Pascal David, gŽrant de la Maison du Ježne, dans les Bouches-du-Rh™ne. L'ascse, version confortable. AdaptŽe ˆ notre sociŽtŽ.

Il faut " un climat d'abondance pour qu'on se dise qu'il y a trop ", fait remarquer Odon Vallet. Gare cependant ˆ l'instrumentalisation, met en garde Fabrice Midal, fondateur de l'ƒcole occidentale de mŽditation : " ‚a ne sert pas ˆ tre plus efficace ni plus calme. Ce n'est mme pas forcŽment une expŽrience agrŽable, de bien-tre. On entre en rapport ˆ la douleur, ˆ l'angoisse, et c'est le fait de le faire sans condition, sans objectif ni projet, qui change tout. "

Odon Vallet insiste sur la dimension spirituelle, qui peut tre religieuse, de l'ascse. " C'est une privation pour tre en meilleure santŽ, plus heureux et plus sage. Une privation pour atteindre la vie Žternelle ou le nirvana, selon la religion. On accepte du ÒmoinsÓ maintenant pour du ÒplusÓ ensuite. " Ou quand la pause devient le dernier luxe ˆ s'octroyer.

 

Le ježne

" Faire de mon corps une page blanche "




Elle attend devant le bar en fumant une cigarette. Elle avait pourtant arrtŽ aprs sa semaine de ježne. " Je ne peux pas tout faire en mme temps ", soupire la Parisienne. Virginie avait un compte ˆ rŽgler avec la nourriture. Obse, elle avait dŽjˆ perdu cinquante-cinq kilos en faisant du sport, en -surveillant ce qu'elle mangeait et en s'acceptant telle qu'elle Žtait. Lui restait une peur ; celle de manquer. D'o le ježne. " J'ai eu envie de prendre de bonnes habitudes, de faire de mon corps une page blanche. " Elle est partie dans un mas provenal avec sa balance, et a participŽ aux quatre heures de marche quotidienne. " La moindre c™te, c'Žtait l'Everest ", sourit la jeune femme, qui se souvient tre " passŽe par -toutes les tentations, de la junk food jusqu'ˆ imaginer l'aciditŽ d'une pomme, comme si -chaque jour je me purgeais de mes mauvaises envies ". Depuis, elle Žcoute davantage son corps et elle a retrouvŽ " l'Žnergie de la cour de rŽcrŽ en CM2 ". Mais, elle a " peur de remanger ".

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